La chaux s’est imposée comme mon médium de prédilection au fil des années. Je l’utilisais déjà et l’appréciais pour ses qualités techniques et décoratives mais je ne soupçonnais pas, alors, la belle relation que j’allais entretenir avec elle ni les potentialités qu’elle recelait et dont je ne ferai peut-être jamais le tour.
En Italie, j’avais contemplé les murs et les fresques, touché le pigment intimement lié à son support, patiné par le temps et nourri du passage des siècles. Ouvrages émouvants par le sentiment d’immortalité, de pérennité qui en émanait. J’ai rencontré quelques années plus tard, un maître artisan au Maroc qui a partagé avec moi son savoir-faire, légèrement différent dans la façon de l’appréhender que celui que j’avais pu observer ici. Un rapport plus viscéral, peut-être, une connaissance physique plus que théorique.
La chaux est vivante et a une identité propre. Quand je grave, ma main se fie au grain de l’enduit et mon oreille connaît le bruit de l’outil quand le geste est juste… difficile à décrire, c’est là un rapport intime avec la matière. Je suis toujours à la recherche de cette sensation d'adéquation quand le trait est juste.
Le sgraffito : procédé ancestral de l’ornementation consistant à gratter, a fresco, une première couche d’enduit pour découvrit la couche du dessous et former divers motifs généralement géométriques ou floraux. Je me suis réapproprié cette technique que je pratiquais déjà en décoration intérieure. La gravure a secco me permet de travailler sur un temps plus long et de manière plus précise.
La gravure à l’acide : le résultat de mes recherches est un détournement de la technique de l’eau-forte. Chaque nouvelle œuvre est l’occasion de découvrir toujours un peu plus l’extraordinaire champs des possibles qui existe là, de mieux comprendre les interactions des différents éléments. J’aime l’idée que la rencontre de l’acide avec la base ramène l’œuvre à l’équilibre chimique.
Après l’émergence et la maturation de l’idée, le support demande une préparation soigneuse pour recevoir les nombreuses couches d’enduit. Le dessin est rarement construit. Excepté quelques éventuels repères au crayon, je préfère la liberté de commencer sur l’enduit vierge.
Chaque phase de travail est une immersion dans un état d’être particulier. Le temps de gravure à la pointe et celui du dessin pour l’eau-forte sont longs et méditatifs. Le passage de l’acide, le mélange des pigments et la mise en couleur se font, eux, dans un autre type d’énergie, plus intense.
La réalisation s’inscrit dans la durée, plusieurs semaines, parfois plusieurs mois et cet engagement qu’impliquent ces processus de création est pour moi essentiel.
En fait, la technique naît du désir de cristalliser une émotion ou une vision et se bâtit sur l’expérience. À partir de là, le passage entre le monde matériel et le monde subtil s’ouvre, le ressenti s'incarne. J’avais trouvé frappante la manière dont Soulages avait poussé la matière au-delà des limites académiques dans son travail de gravure. Cette cuisine un peu alchimique, plus que sur des recettes rigoureuses, se fonde sur l’expérience, sur le ressenti et la recherche d’une vérité toujours en évolution.
Les expériences qui jalonnent la vie depuis notre naissance sont le terreau d’une partie de mon travail. La nature, dans la merveilleuse diversité de sa beauté en est l’autre. C’est de là que vient ce côté organique qui nourrit mon esthétique. Ligne, cercle et point, sont les éléments de mon dessin. J’ai été fascinée, il y a vingt-cinq ans, par la lecture de la version illustrée par Gustave Doré de la Divine Comédie de Dante. Ce travail de gravure propre à Doré est singulier par la vibration qu’il induit.
Mon désir inassouvi de comprendre ce que sont le vivant et ce qui vient après la mort, les jalons de l’enfance et toute la sphère émotionnelle liées à ma sensibilité exacerbée font - j’en fais le constat - ma source d’inspiration. Les deuils et expériences éprouvantes que j’ai traversés ont ouvert des brèches. C’est par ces mêmes brèches qu’a pu passer la lumière. De cette même lumière, essentielle dans mon travail, Vinci disait : la supériorité de la peinture sur la sculpture vient du fait que dans la sculpture, la lumière est extérieure à l’œuvre alors que dans la peinture, elle est immanente à l’œuvre." J’aime à penser que dans la gravure telle que je la pratique, elle provient tant de l’intérieur que de l’extérieur. La lumière devient ainsi, à l’instar de la chaux, un médium.